Depression majeure, anxiété, mais aussi baisse de l’audition, constipation ou encore perte de poids… Grâce à une méthodologie originale, des équipes françaises ont identifié dix pathologies significativement plus fréquentes chez les malades d’Alzheimer dans les deux à dix ans précédant le diagnostic que chez des témoins du même âge. L’étude, dont le premier auteur est Thomas Nedelec (postdoctorant à l’Institut du cerveau, à Paris), a été publiée en ligne, le 23 février, dans The Lancet Digital Health.
Alors que la maladie d’Alzheimer touche 50 millions de personnes dans le monde et s’annonce comme un des grands défis du XXIe siècle, avec potentiellement plus de 150 millions de cas en 2050 et toujours pas de traitement susceptible de ralentir son évolution, les spécialistes misent de plus en plus sur la prévention. On estime en effet que jusqu’à quatre cas sur dix pourraient être évités en élevant le niveau d’éducation et en agissant sur une dizaine d’autres facteurs, dont l’hypertension artérielle, la consommation d’alcool et de tabac, l’obésité, le niveau d’activité physique et la presbyacousie. Autre défi : déterminer des signes avant-coureurs pour un repérage plus précoce.
« Approche agnostique »
Dans cette optique, les chercheurs français ont exploité deux bases de données anonymisées de patients suivis en médecine générale, en France et au Royaume-Uni. De ces deux sources indépendantes, mais issues d’une même base européenne, THIN (The Health Improvement Network), ils ont extrait les cas de démence dus à la maladie (environ 20 000 dans chaque pays) et apparié chacun d’eux à un témoin de même âge. Ils ont ensuite testé le lien possible entre l’apparition de la maladie et 123 pathologies, en remontant jusqu’à quinze ans avant le diagnostic.
Si les données recueillies ne mettent pas en évidence de facteurs fortement associés à Alzheimer entre dix et quinze ans avant le diagnostic, dix facteurs sont retrouvés de façon statistiquement significatives dans la période deux-dix ans : depression, anxiété, troubles de l’adaptation au stress, perte d’audition, constipation, spondylarthrose cervicale, pertes de mémoire, fatigue et malaises, chutes, perte de poids. « L’un des avantages de l’approche agnostique, c’est-à-dire sans hypothèse, est de pouvoir révéler des facteurs inattendus, comme ici la constipation. C’est très complémentaire des études de cohorte », souligne Carole Dufouil, directrice de recherche au centre Bordeaux Population Health (Inserm), qui a cocoordonné ce travail. Toutefois, note l’épidémiologiste, une limite des bases de données médicales pour la recherche est l’absence de données sociales, comme le niveau d’études, qui jouent pourtant un rôle important dans la survenue des démences.
Alzheimer : 40 % des cas seraient évitables grâce à un mode de vie adapté
Prévenir la maladie d’Alzheimer ? Ce défi est devenu une perspective mesurable. L’enjeu est énorme. Dans le monde, quelque 50 millions de personnes souffrent aujourd’hui de cette démence liée à l’âge ; si rien n’est fait, elles devraient être 152 millions en 2050. Le coût global actuel lié à cette affection est estimé à mille milliards de dollars par an (850 milliards d’euros).
« La maladie d’Alzheimer n’est pas une fatalité. Certes, on ne peut en empêcher la survenue. Mais on peut repousser de plusieurs années l’apparition de ses symptômes. Au final, les gens mourront d’une autre affection – cancer, maladie cardio-vasculaire… – avant que ne se manifestent les troubles cognitifs et comportementaux liés à cette démence », explique Philippe Amouyel, professeur de santé publique et directeur général de la Fondation Alzheimer. Ces troubles ne surviennent que vingt à trente ans après le début du processus de dégénérescence du cerveau. On peut donc en freiner le développement en contrôlant les facteurs qui l’accélèrent.
Douze de ces facteurs de risque ont été passés au crible d’une étude publiée le 30 juillet dans la revue The Lancet. Verdict : en contrôlant chacun d’eux, on pourrait prévenir ou retarder jusqu’à 40 % des cas d’Alzheimer – et plus encore dans les pays à faible et moyen revenus, où vivent les deux tiers des personnes touchées.
Ce travail, en réalité, prolonge une étude publiée en 2017 dans la même revue, qui chiffrait l’impact de 9 facteurs de risque. Ici, les auteurs en ajoutent 3 autres : les traumatismes crâniens, la pollution de l’air et l’abus d’alcool.
Pression artérielle, alcool, tabac…
Résumons. Chez l’enfant et le jeune adulte, on préviendrait ou retarderait 7,1 % des cas d’Alzheimer en élevant le niveau d’éducation. Plus tard, entre 45 et 65 ans, on préviendrait ou retarderait 8,2 % des cas d’Alzheimer en corrigeant les pertes auditives ; 3,4 % en évitant les traumatismes crâniens même légers ; 1,9 % en maintenant une pression artérielle systolique égale à 130 mmHg au plus ; 0,8 % en limitant sa consommation d’alcool à 3 verres par jour ; 0,7 % en luttant contre l’obésité. Même à plus de 65 ans, on peut agir : en arrêtant le tabac, on préviendrait ou retarderait 5,2 % des cas ; en traitant la dépression, 3,9 % ; en luttant contre l’isolement social, 3,4 % ; en maintenant une activité physique, 1,6 % ; en traitant le diabète, 1,1 % ; en limitant l’exposition à la pollution de l’air, 2,3 %.
Il vous reste 24.16% de cet article d’Alzheimer à lire. Source