Livre. Apparue au début des années 1980, avec l’évocation des premiers cas dans le New York Times en juillet 1981, nommée bientôt « sida » (1983) et aussitôt marqueur d’une stigmatisation tenace, la maladie n’appartient pas au passé. Et si le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), à Marseille, s’est proposé de l’inviter, commémorant quarante ans de ravages, ce n’est pas pour en fermer la page – toujours ouverte – mais, au contraire, pour proposer un retour sur ces quatre décennies d’une histoire sociale et politique à partager.

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Il y a là un militantisme assumé dans la démarche, comme dans l’aventure qui mobilisa la collecte de ces objets et documents, amorcée au milieu des années 1990 par le Musée national des arts et traditions populaires, aux portes du bois de Boulogne, fermé en 2005, avant qu’il ne renaisse à Marseille, en 2013, en MuCEM. Comme plus tôt encore, il a fallu un engagement puissant de celles et ceux qui n’ont pas accepté l’invisibilisation des malades et le silence fait autour du fléau. Patients, soignants, artistes s’efforçant de témoigner d’un drame dont les représentations publiques tenaient de la caricature et déshumanisaient les victimes, chacun a voulu conjurer la fatalité et redonner leur dignité aux victimes.
Bouleversements intimes et collectifs
Porté par des mouvements associatifs qui ont parfois spectaculairement interpellé l’opinion et les pouvoirs publics – on se rappelle Act Up-Paris coiffant l’obélisque de la Concorde d’un préservatif rose en décembre 1993 –, le combat voit son histoire magistralement contée dans le livre qui paraît en complément de l’exposition marseillaise. Souvent par la voix de celles et ceux qui ont réagi et agi les premiers. Aux commandes de l’ouvrage, les huit commissaires de l’exposition – sept chercheurs, la plupart anthropologues, et un responsable des recherches opérationnelles du Sidaction, Vincent Douris, qui recueille ici la parole d’une douzaine de témoins. Par d’autres voies, ils reprennent le défi d’une exposition de lutte : comment briser le silence, juguler la contagion, réduire les inégalités, notamment dans l’accès aux traitements, tout en mesurant les bouleversements intimes et collectifs que le sida a provoqués.
Tous s’effacent devant les témoignages. Et si Françoise Loux et Stéphane Abriol, pionniers de ce projet singulier et responsables de la collecte « Histoire et mémoires des luttes contre le sida » (2002-2006), signent seuls des contributions personnelles, c’est bien en tant que témoins et acteurs. Voire plus pour qui découvre le terrible Triptyque : nécessaire de survie du séropositif au VIH (2004), où Abriol donne à voir, dans l’armoire à pharmacie d’un malade, les médicaments qui racontent l’évolution des thérapies, simples jalons de la lutte contre la mort tant que la guérison n’est pas à l’ordre du jour.
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