
Au royaume embrumé de la vape et des vapoteurs, les gourmets sont rois. Ce soir de février, sur la chaîne YouTube de Oneshot Media, suivie par plus de 8 500 personnes, 8 chroniqueurs s’apprêtent à tester un nouveau parfum de liquide pour cigarettes électroniques qu’un fabricant a fait parvenir à la rédaction de ce magazine en ligne spécialisé. En duplex et en direct depuis leur bureau ou leur salon, les dégustateurs remplissent la fiole de leur vaporisateur, en enclenchent le bouton et prennent de grandes aspirations. La vapeur ressort par les nez et envahit bientôt les écrans dans un tourbillon de volutes blanches et opaques.
La parole est à « Tonton », l’un des experts de l’assemblée, qui a donné à ce produit la note maximale de 10/10 : « C’est une gourmandise sans nom. […] On a un très bon pop-corn qui est assez dominant. Il est recouvert d’un caramel exquis et onctueux. Le tout est porté par une crème vanille. C’est doux, c’est léger, c’est un e-liquide parfait pour celui qui voudrait le vapoter tout au long de la journée. » Les commentaires entre les autres participants se poursuivent ; ils vantent sa longueur en bouche, sa rondeur, l’équilibre des saveurs. La scène fait penser à une séance de dégustation de vin chez un caviste, voire à la délibération d’un jury pendant un concours gastronomique. Assistons-nous à une hérésie ou bien sommes-nous donc simplement devenus les témoins privilégiés d’un nouveau phénomène culinaire qui prend de l’ampleur ?
Pour ceux qui les consomment, les inhalent – et donc, les dégustent –, les liquides pour cigarettes électroniques (communément appelés « jus » ou « e-liquides ») sont devenus de véritables objets de curiosité. Selon les dernières statistiques de l’« Eurobaromètre », un rapport publié par la Commission européenne, en 2021, 22 % des Français interrogés déclaraient avoir déjà essayé la cigarette électronique « au moins une fois ». Dans l’Hexagone, ils sont désormais – estime-t-on – plus de 3 millions à s’adonner à la pratique du vapotage. Mais combien sont-ils à donner une valeur gustative au produit qu’ils sont en train de consommer ?
Vieillissement en fûts de chêne
Puisque les parfums des cigarettes électroniques passent par le nez et que nos papilles se chargent de les goûter, peut-on parler d’un nouveau genre de gastronomie, qui s’appréhenderait à travers des aliments synthétiques, de façon dématérialisée ? Dès lors, une mise en garde s’impose : les liquides à vapoter, auxquels on a traditionnellement recours pour arrêter de fumer, ne sont pas complètement inoffensifs. Ils sont composés, de manière très réglementée et en grande majorité, d’un mélange de propylène glycol et de glycérine végétale : deux composés chimiques que la cigarette électronique va être en mesure de vaporiser. A cette base, les fabricants ajoutent des arômes, généralement issus de l’industrie alimentaire. La nicotine, quant à elle, se présente sous forme liquide et s’ajoute à la discrétion du consommateur. Tous ces ingrédients sont fabriqués en laboratoire et ne sont pas présents dans leur état brut dans la nature. Il est tout à fait légitime de dire que notre corps n’est donc pas prédisposé à les ingérer. Mais n’est-ce pas aussi le cas des OGM et de la nourriture transformée ?
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