Les témoignages, les enquêtes, les analyses d’anciens ministres de la santé (interrogés par Le Monde dans son édition du 13 août), les missions (« flash » ou non) ont parfaitement analysé la situation hospitalière : manque de moyens, de personnel, de motivation, conséquences d’un management inadapté et d’une contrainte de productivité dénuée de bon sens.
Mais, en fait, sur la crise de l’hôpital, on a parlé de tout, sauf d’amour. Or, c’est bien l’amour de son métier, du soin aux autres, du travail en équipe, qui a disparu, étouffé par une démédicalisation des décisions et une déviance sécuritaire.
Par exemple, la distribution des médicaments, moment de contact humain entre l’infirmier et le malade, est devenue une longue épreuve de « cochage de cases » sur écran pour se garantir de la traçabilité des prescriptions.
De même, le temps convivial de la transmission orale entre une équipe soignante en fin de service et l’équipe suivante a été réduit au minimum et remplacé par une transmission écrite permettant un bureaucratique « contrôle qualité ». La dernière heure de l’équipe partante se réduit donc à des pages d’écriture et la première demi-heure de l’équipe arrivante se limite à la lecture de ces pages !
Pertes de sens
Mais on ne se parle plus, on ne se voit plus. La traditionnelle visite médicale du matin, au lit du malade, avec toute l’équipe soignante, pouvait être impressionnante et professorale. Mais la remplacer, comme cela se fait de plus en plus, par une « visite assise » dans un bureau médical, avec tous les écrans pour l’imagerie, la biologie mais sans le personnel paramédical et sans le malade, est une destruction de l’harmonie de la vie hospitalière. Un interne passe moins du quart de son temps hospitalier avec les malades, et beaucoup plus devant un ordinateur.
Toutes ces pertes de sens des métiers du soin sont le fruit de la prise de pouvoir par l’administration, qui ne voit que rentabilité et sécurité. Si les différentes professions ne s’aiment plus les unes les autres, ne se respectent plus, ne sont pas centrées sur le soin apporté au patient, n’ont plus le temps d’exprimer leur vocation auprès du malade, elles partent…
Un – brillant – directeur d’hôpital à qui je demandais pourquoi il ne prenait pas les décisions attendues par le personnel qui auraient pu améliorer les conditions de travail m’a répondu : « Je ne suis pas là pour être aimé. » Fatale erreur, image de l’incompréhension mutuelle. Au cours de mes quarante-cinq années à l’hôpital, je n’ai jamais connu un soignant quitter le navire parce qu’il était insuffisamment payé ou parce qu’il avait trop de travail. En revanche, partir parce qu’on n’est pas considéré, pas écouté, pas compris, pas respecté – en deux mots : pas aimé – est devenu notre triste quotidien.
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