Tribune. A l’époque où l’on promeut l’intelligence artificielle et ses potentielles applications futures en médecine, peut-être convient-il de s’interroger sur la disparition progressive de l’utilisation de nos sens, en deçà même de celle de nos capacités de raisonnement bientôt dépassées. Il semble en effet probable que, dans un avenir proche, des « systèmes intelligents » liront les images de scanner et d’IRM avec une acuité de jugement supérieure à celle qu’offrent aujourd’hui le regard et les connaissances des meilleurs médecins spécialistes de l’image.
Mais si les prémisses s’avéraient fausses ou si les données ayant conduit à faire pratiquer l’examen d’imagerie étaient incomplètes, mal interprétées ou, pire, erronées voire inexistantes… Alors, il est à craindre que les conclusions de l’analyse de l’image le soient aussi ou, au minimum, non congruentes avec la question posée. C’est bien là le risque auquel l’évolution de notre médecine nous mène.
La présentation physique du malade, son expression comme la richesse ou la pauvreté de ses symptômes ont une importance majeure pour le praticien
La vie quotidienne dans un service hospitalo-universitaire de chirurgie met en évidence depuis quelques années trois phénomènes contemporains et inquiétants. Le premier est la disparition de ce qu’il était habituel de nommer « l’interrogatoire et l’inspection », deux termes un peu rudes pour décrire l’évidente nécessité de regarder et d’écouter le malade. Pourtant, la présentation physique du malade, son expression comme la richesse ou la pauvreté de ses symptômes ont une importance majeure pour le praticien. Ces éléments sont aujourd’hui souvent partiellement ou totalement escamotés par la biologie ou l’imagerie considérées comme fiables car mesurables.
Des chiffres et des images
C’est déjà, au départ, oublier que l’on reçoit un malade et non des images ou des chiffres. Pire encore, la disparition du papier et la saisie informatique des éléments recueillis, devenue maintenant pratique courante, oriente le regard du praticien plus souvent vers l’écran de l’ordinateur que vers le visage du malade.
Le second phénomène est la peur du toucher. Donner un avis sur une échographie, qu’elle soit rénale, hépatique, prostatique ou cardiaque, sans avoir au préalable établi un contact physique avec le malade, relève de la même faute de l’esprit que de se considérer comme un invincible guerrier parce que l’on a triomphé de monstres effrayants sur une tablette informatique.
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