Tribune. La plupart des dysfonctionnements du marché des médicaments ont été bien identifiés au fil des scandales pharmaceutiques. Ils relèvent en grande partie d’un manque d’accès aux données des essais cliniques menés par les laboratoires.
Lorsque les dégâts subis par les patients sont de nature organique – malformations fœtales (thalidomide, Dépakine), valvulopathies (Mediator), accidents vasculaires (Vioxx, glitazones), cancer de la vessie (glitazones) –, la reconnaissance de l’imputabilité peut nécessiter plusieurs décennies. Lorsque la dégradation organique est lente, comme celle du rein par les anti-inflammatoires, il faut encore plus de temps pour obtenir la simple mention du risque.
Nosographie instable et méconnue
Lorsqu’il s’agit d’addictions, comme avec les opiacés et benzodiazépines, les produits sont maintenus sur le marché malgré l’identification du problème, car leur sevrage pose des problèmes cliniquement insolubles. Les dégâts provoqués par ces deux classes médicamenteuses constituent aujourd’hui un grave problème de santé publique.
Un degré de complexité supplémentaire survient lorsqu’il y a similitude entre les effets indésirables et les symptômes ayant motivé la prescription. Pour affirmer qu’un médicament prescrit pour des troubles de l’humeur provoque des troubles du comportement, ou qu’un médicament prescrit pour insomnie ou dépression aggrave ces dernières à long terme, le médecin ne peut se fier qu’à son propre jugement.
C’est pourquoi les médicaments des troubles psychiques sont le domaine de prédilection de la manipulation marchande et le casse-tête récurrent des cliniciens qui en constatent l’inefficience et les dégâts.
En plus de cumuler tous ces défauts, les antidépresseurs de type ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) et les benzodiazépines sont prescrits au-delà de toute raison, pour des dépressions et troubles anxieux dont la nosographie [classification des maladies] est instable et méconnue par la plupart des prescripteurs. La dépression majeure (anciennement nommée mélancolie) représente moins de 10 % des diagnostics, alors que plus de 90 % des prescriptions concernent des formes réactionnelles dont la guérison est spontanée ou répond bien aux thérapies comportementales.
Aggravation et dépendance
La prescription de ces psychotropes pour des vicissitudes de la vie est un facteur d’aggravation conduisant à une dépendance souvent irréversible. Même lorsque le sevrage est possible, les patients se retrouvent dans un état clinique souvent plus grave que celui qui avait motivé la prescription initiale, ce qui est interprété comme une preuve de l’utilité du traitement. Comme si se sentir moins bien après l’arrêt du tabac était la preuve de ses bienfaits pour la santé !
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