
A Belfort, le choix des bancs publics ne s’effectue pas seulement sur des critères esthétiques. Depuis 2015, cette commune de l’Est s’est dotée d’une trentaine de bancs adaptés en vue de faciliter les déplacements des personnes âgées ou à mobilité réduite – trois places et forme dite « assise-debout » (ils sont surélevés pour se relever plus facilement). Objectif : lutter contre la sédentarité mais aussi l’isolement social en installant ce mobilier près des écoles, marchés, squares, étangs et monuments. A Strasbourg, autre pionnière, c’est le sport « sur ordonnance » qui a été testé, avec construction des infrastructures afférentes. Face à l’explosion des maladies chroniques – qui toucheraient plus de 20 millions de Français –, les villes sont appelées à allier l’urbanisme au bien-être et à la santé de leurs habitants.
La pandémie a accéléré le mouvement. En témoigne l’explosion des « coronapistes » réservées aux cyclistes ou celle des parcours de santé. « On a clairement changé de paradigme », confirme Sandrine Delage, cheffe de projet aménagement du territoire à Grand Paris Aménagement. « Il nous faut désormais faire en sorte que les gens vivent en ville avec moins de promiscuité et plus de bien-être. » Au-delà des seuls équipements sportifs, « les urbanistes travaillent aussi à la reconfiguration des immeubles, sur le design actif, avec des escaliers mieux ventilés, éclairés naturellement et accueillants, pour inciter les gens à les emprunter plutôt que l’ascenseur. Mais aussi sur la piétonnisation des quartiers ».
Des îlots de fraîcheur et moins de bitume
Ainsi, la présence de bancs incite à la marche, de même que celle de zones ombragées. « De nombreuses études ont démontré que le fait d’avoir un espace vert à proximité constitue une motivation pour faire une activité physique », confirme Ariane Rozo, coordinatrice urbanisme en lien avec la santé et la nature en ville à l’Ademe. « De même, la nature en ville permet de se raccrocher au cycle des saisons et a un effet apaisant, presque méditatif, sur le mental », ajoute-t-elle, en soulignant les bénéfices combinés des actions sanitaires et de la lutte contre le réchauffement climatique.
« Depuis un an environ, des principes urbanistiques, comme la ventilation, que l’on avait complètement oubliés font leur réapparition » Philippe Rahm, architecte
De fait, les projets de renaturalisation qui combinent bien-être et lutte contre la chaleur et l’artificialisation des sols se multiplient. Dès 2020, Caen a, par exemple, entrepris de débitumer le pied des arbres en vue de faciliter l’infiltration des eaux de pluie. Angers soigne ses jardins participatifs au pied des immeubles. Tandis que, depuis 2017, Paris fait des émules avec ses projets « oasis » qui végétalisent et créent des points d’eau dans les cours de récréation des écoles et des collèges. Outre la plus grande sérénité qu’ils apportent aux enfants, et une moindre médication pour les problèmes d’attention et d’hyperactivité, ces lieux sont également pensés comme des refuges accessibles à tous en dehors des temps scolaires pour se rafraîchir lors de fortes chaleurs. « Face au défi climatique, il faut cesser de bétonner, de minéraliser et de densifier les villes – qui plus est, Paris, déjà surcongestionné », insiste l’urbaniste Albert Lévy, rappelant qu’en dépit des mesures annoncées le ratio d’espaces verts par habitant dans la capitale reste de 3,5 mètres carrés en deçà des 10 mètres carrés recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Nous devons par exemple mieux utiliser les friches urbaines pour créer de nouveaux grands parcs mais aussi plus d’espaces verts dans tous les endroits libres et sur les toits. »
L’air intérieur souvent oublié
Autre préoccupation : la lutte contre la pollution de l’air extérieur, avec près de 100 000 morts prématurées par an en France, s’accélère alors que la pandémie l’a rendue plus prioritaire encore. « A Rennes, nous agissons sur plusieurs tableaux, en ouvrant la ligne B du métro, ce qui devrait permettre d’avoir 50 000 véhicules en moins. Mais aussi en passant à l’électrique sur le réseau de bus ou en rénovant les logements et le chauffage des bâtiments, deuxième facteur de pollution de l’air », détaille Yannick Nadesan, délégué à la santé et au vieillissement, et président du réseau français des Villes-Santé de l’OMS. Le défi est immense d’autant que la pollution de l’air intérieur est tout aussi stratégique que celle de l’air extérieur. « A l’intérieur, elle concerne la production de logements, de meubles, de peinture, de fenêtres… Autant dire une multitude d’acteurs et d’industriels », relève Chloë Voisin-Bormuth, directrice des études et de la recherche à la Fabrique de la cité. Un quart des logements français seraient ainsi pollués.
En réponse, la nouvelle génération d’acteurs de la ville commence tout juste à s’emparer de ces questions. « Pour gagner des concours, aujourd’hui, un bon architecte doit construire en bois, en pierre, utiliser des matériaux comme la paille », souligne l’architecte Philippe Rahm. « Depuis un an environ, des principes urbanistiques, comme la ventilation, que l’on avait complètement oubliés font leur réapparition », ajoute-t-il. Air, soleil, eau : la ville qui soigne va devoir, elle aussi, renouer avec de vieilles recettes. Et plus de sobriété.
Ce dossier a été réalisé dans le cadre d’un partenanriat avec le Pavillon de l’Arsenal.