
Les ateliers des Capucins sentent encore le neuf. Surplombant La Penfeld, dans le centre-ville, les anciens bâtiments de l’arsenal de Brest transformés en centre culturel prennent le soleil. Dans leur vie d’avant, ils abritaient des activités du port militaire. C’est ici que se sont donné rendez-vous des ouvriers retraités de la base sous-marine de l’Ile-Longue, fleuron de la marine française. Presqu’île située en face de la cité du Ponant, dans la rade brestoise, elle dissimule depuis les années 1970 la base opérationnelle des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).
« On était à quelques centimètres des têtes, on prenait notre temps, comme si de rien n’était. On nous disait qu’il n’y avait aucun risque, que c’était comme du bois. On était naïfs. Moi, j’ai l’impression qu’on a violé mon intégrité. » Gilbert, ancien pyrotechnicien
Ce jour d’octobre, ils sont sept à se retrouver. Certains ne se sont pas croisés depuis longtemps et semblent heureux de se revoir. Leur âge oscille entre 60 et 77 ans, des sourcils bruns et des sourcils blancs, des regards douloureux et d’autres plus noirs, des hommes menus et de grands gaillards. Quelques-uns ont turbiné aux Capucins, il fut un temps. « C’était sale à l’époque », commente Pierre-Jean (les personnes interrogées n’ont pas souhaité donner leur nom), le benjamin de la bande.
Les membres du Collectif des irradiés de l’Ile-Longue sont venus exhumer un autre passé : celui de leur atelier de pyrotechnie, où pendant plus de vingt ans, ils ont travaillé sans protection (si ce n’est un casque et un bleu de travail), au plus près des rayonnements des têtes nucléaires qu’ils entretenaient pour les sous-marins de l’armée française.
Arrivées de Bourgogne en pièces détachées, les ogives étaient assemblées par l’antenne du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de l’Ile-Longue, où les militaires disposaient d’une protection et d’un dosimètre pour mesurer les radiations. Avant que les têtes soient montées sur des missiles et installées dans les sous-marins, elles passaient chez les civils de la pyrotechnie qui avaient pour mission de les stocker et de les entretenir. Mais, pour eux, aucune mesure de protection ni équipement. Rien du tout.
« Un parcours du combattant »
Discret, le visage calme, Jean-Yves était l’un d’eux. De 1987 à 2012, il a travaillé, d’abord comme mouleur matières plastiques, puis comme conducteur de véhicules. « Il y a quelques années, on m’a diagnostiqué un cancer du poumon. Et, en 2017, un cancer du larynx », décrit le sexagénaire. Exposé aux solvants, à l’amiante, à la fibre de verre et aux rayonnements ionisants, il veut, depuis, faire reconnaître la seconde affection comme maladie professionnelle.
Il vous reste 70.6% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.