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L’Assemblée nationale examine jeudi 8 avril la proposition de loi du député Olivier Falorni pour une « fin de vie libre et choisie ». Avec les quelque 3 000 amendements qui ont été déposés, dont 2 300 de la part de cinq députés du groupe Les Républicains, la proposition de loi n’aura probablement pas le temps d’être votée.
Que savons-nous des problèmes posés par la fin de vie en France ? Que permet actuellement la loi ? Le professeur Régis Aubry, chef du pôle autonomie handicap du CHRU de Besançon et membre du conseil consultatif national d’éthique, a répondu aux questions des lecteurs du Monde.
AllôLaFrance : Que signifie véritablement « être en fin de vie » aujourd’hui en France ? Et pourquoi n’arrivons-nous pas à respecter le souhait de celles et ceux qui souffrent et veulent partir dignement ?
Régis Aubry : On est « en fin de vie » lorsque l’on est atteint d’une maladie que les traitements spécifiques ne permettent plus de guérir. Du fait des progrès de la médecine, les « fins de vies » s’allongent parce que l’on peut vivre de plus en plus longtemps avec une ou plusieurs maladies incurables.
Toutefois, lorsque les législateurs parlent de fin de vie, il faut l’entendre comme proche de la mort, de quelques jours à quelques semaines maximum, même si, bien entendu, il est impossible d’avoir des certitudes de cet ordre.
M : Quelle est la différence entre euthanasie et suicide assisté ?
La distinction est la suivante : l’assistance au suicide, c’est la personne qui s’injecte ou absorbe le produit létal en exerçant son autonomie, au terme d’une réflexion. Dans le cas de l’euthanasie, l’administration du produit létal dépend d’un tiers.
Banshee : Pensez-vous que le problème de l’euthanasie soit aussi massif que celui du manque de soins palliatifs ?
Je pense que la question de l’éventuelle dépénalisation de l’euthanasie est « l’arbre qui cache la forêt » : il est nécessaire que la France se dote d’une politique de soins palliatifs plus ambitieuse, et qu’elle ait une politique plus largement d’accompagnement des personnes les plus vulnérables (maladies chroniques, grand âge…) afin que ces personnes n’aient pas le sentiment d’être un « problème » (c’est malheureusement souvent le cas actuellement).
« Il faut éviter de produire des situations de survie insensée qui peuvent générer un véritable désir de mort chez certaines personnes »
Il faut également que la médecine fasse sa mue… Il faut éviter de produire des situations de survie insensée qui peuvent générer un véritable désir de mort chez certaines personnes… Autrement dit, il faut que les futurs professionnels de santé se forment pour apprendre à ne pas faire au seul motif que l’on sait faire, si faire contribue à faire souffrir… La médecine de demain doit être une médecine empreinte de modestie et d’humilité, respectant la question des limites du savoir, des limites de la vie, respectant les personnes dans leurs limites et leurs droits.
Simo : Dans le cadre de cette nouvelle loi, de quelle manière le patient pourra demander son droit à l’euthanasie ? Comment sera-t-il encadré ?
L’enjeu de cette proposition de loi est de permettre l’euthanasie (une tierce personne injecte ou administre un produit létal) ou l’assistance au suicide (c’est la personne qui prend un produit létal), dans des conditions assez strictes (personnes atteintes d’une maladie incurable et évoluée…) avec nécessité de plusieurs avis (2 ou 3) médicaux préalables et mise en place d’une commission de contrôle.
Loulou : Ne pensez-vous pas que la sédation « profonde et continue » est une hypocrisie française ?
Non je ne crois pas. La sédation profonde et continue jusqu’au décès répond à la demande suivante : « Je ne veux plus être conscient pour les quelques heures et quelques jours qui me restent à vivre. » Il me semble que le législateur a essayé de répondre à la question suivante : est-il justifié qu’une personne, à la toute fin de sa vie, reste consciente si elle ne le souhaite pas ?
Marie : Quels sont les arguments des détracteurs de cette loi sur l’euthanasie, dans la mesure où il s’agit là de la volonté du patient d’avoir une mort plus « acceptable » que sa maladie et la loi actuelle sur la fin de vie lui proposent ?
Les arguments des gens qui sont réticents ou opposants à cette évolution de la loi sont de plusieurs ordres : que signifie une demande de mort formulée par une personne en fin de vie ? Est-ce qu’elle correspond à une demande de ne plus vivre ou à une demande de ne plus vivre comme au moment de la demande, ou à une demande de ne plus souffrir, ou à une demande de ne plus être conscient ? Pour le clinicien, un enjeu majeur, quelle que soit l’évolution de la loi, sera de discerner le sens de la demande.
Maly : Sait-on si la déshydratation et l’absence d’alimentation en fin de vie proviennent de la douleur chez les patients ?
La cachexie, qui est la conséquence d’une perte de l’appétit, une diminution de l’alimentation et de l’hydratation chez les patients en fin de vie, est liée au fait que l’évolution propre de la maladie l’emporte sur les moyens de défense naturelle que sont boire et se nourrir.
Manu : J’ai un frère célibataire et sans enfants. Il est atteint de SLA (maladie de Charcot). Il souhaite tout arrêter avant de se retrouver dans un état d’assistance total. Qu’est ce qui est possible aujourd’hui ?
Le droit français actuel interdit que l’on contraigne une personne à prendre des traitements qui peuvent contribuer à la maintenir en vie. Dès lors qu’une personne confirme qu’elle ne souhaite plus prolonger sa vie, tout doit être mis en œuvre pour qu’elle puisse vivre une fin de vie, non prolongée, et avec le moins d’inconfort possible. Quand bien même cela doit passer par une mise dans le coma pour que la personne n’ait pas le sentiment de sa propre asphyxie (dans le cas de la SLA).
Telly : Quand peut-on espérer ne plus être obligé de quitter la France pour mourir dignement ?
L’évolution de la loi dépend du Parlement. Mais je ne suis pas choqué que l’on prenne du temps pour aborder des questions aussi complexes, essentielles. Le comité consultatif national d’éthique serait favorable, avant une modification éventuelle de la loi, à de véritables Etats généraux de la fin de vie, pour que toutes et tous puissent s’exprimer afin que l’évolution du droit ne soit pas autre chose que l’expression d’une volonté démocratique, très nuancée et très argumentée.
Eric61 : Pourquoi ne pas s’être inspirés de législations de pays voisins qui sont en application depuis longtemps et ne font pas débat dans la population, à de rares exceptions près ?
De fait, depuis 2002, les Pays-Bas, puis la Belgique, le Luxembourg et récemment l’Espagne ont fait évoluer leur législation. Je pense que nous avions un gros déficit de dialogue et de débat non passionné et non militant sur ces questions, qui s’ajoute à une difficulté culturelle, probablement historique également, à aborder la question de la mort, qui est un sujet tabou, et plus encore celle de l’euthanasie et du suicide assisté.
Mouche : Sera-t-il possible de refuser cette assistance à mourir si on ne la souhaite pas pour ses proches ?
Si la loi actuellement discutée est votée, il sera nécessaire de s’assurer que l’euthanasie ou le suicide assisté (étrangement la proposition de loi n’emploie pas ces mots) ne se fasse que si de tels actes sont bien l’expression de la volonté de la personne. Un tiers ne peut ou ne pourrait évidemment pas se substituer à une décision aussi intime et grave.
MT : Sait-on si des études d’impact sur le processus de deuil ont été menées dans les pays qui pratiquent l’euthanasie ? Quel est votre regard sur la question ?
Nous manquons vraiment de travaux de recherche sur ce point crucial ; c’est la raison pour laquelle nous avons créé une plate-forme nationale de recherche sur la fin de vie, pour pouvoir apporter des arguments tels que ceux-ci dans un débat qui est souvent très partisan. Nous avons besoin d’un véritable soutien de la recherche, qui est un peu sinistrée et le parent pauvre, alors que la question est centrale.
Suisse/France : On lit parfois qu’actuellement des malades partent en Suisse pour y mourir. Quelle est la spécificité de la Suisse à ce sujet ? Est-ce un exemple que la nouvelle loi veut suivre ?
En Suisse, il y a un vide juridique, qui fait que l’assistance au suicide (si elle n’est pas incitation au suicide) est tolérée. Ce sont des associations qui facilitent cette possibilité. La proposition de loi qui est discutée n’entre malheureusement pas dans ces différences entre euthanasie et assistance au suicide, alors que cette distinction m’apparaît essentielle.
Chirurgien inactif : Quelle est la place des comités d’éthique locaux ? Les situations étant toutes particulières, ne devraient-ils pas être sollicités systématiquement ?
Je suis d’accord avec vous. Je pense que les comités d’éthique locaux pourraient devenir des sortes d’équipes mobiles de soutien au questionnement éthique, pour aider les professionnels confrontés à ces questions de fin de vie, par exemple.