Au pays de Margaret Atwood, auteure du roman devenu série télévisée La Servante écarlate, une dystopie féministe dans laquelle les femmes sont réduites au rôle de mères porteuses, la possible remise en cause de l’arrêt Roe v. Wade aux Etats-unis a provoqué une onde de choc. A travers tout le Canada, radios, télévisions et journaux se sont emparés de l’éventuelle suppression du droit à l’avortement chez le voisin américain pour s’interroger sur un possible effet « contagion ». Au lendemain de la révélation par le site Politico de l’avant-projet de la Cour suprême des Etats-Unis évoquant la fin de ce droit constitutionnel établi depuis quarante-neuf ans, le débat s’est aussi immédiatement invité à la Chambre des communes à Ottawa.

« Un seul moment d’inattention peut nous ramener des décennies en arrière », a mis en garde Christine Normandin, députée du Bloc québécois (indépendantiste), mardi 3 mai. « Le gouvernement est résolu à protéger le droit des femmes de choisir, un droit fondamental », lui a répondu la vice-première ministre, Chrystia Freeland, sous un tonnerre d’applaudissements. Absent de l’enceinte parlementaire, le premier ministre libéral, Justin Trudeau, publiait au même moment un message sur Twitter : « Le droit de choisir est un droit de la femme. Point final. »
La question d’une possible remise en cause de l’avortement a en revanche plongé dans l’embarras le Parti conservateur du Canada. Dans un courrier électronique envoyé à ses membres quelques heures après la révélation de Politico, l’équipe de communication du parti les a prudemment enjoints à ne pas « commenter la fuite ». « Ce qui se passe aux Etats-Unis se passe aux Etats-Unis, c’est un enjeu qui a été réglé depuis des décennies au Canada et c’est tant mieux », a tenté d’éluder le député conservateur, Gérard Deltell.
Le sujet divise depuis des décennies la droite canadienne qui compte, notamment dans les provinces des Prairies, dans l’ouest du pays, une base religieuse militante très opposée au libre choix. Les gouvernements conservateurs de Brian Mulroney (1984-1993) et de Stephen Harper (2006-2015) ont tenté à plusieurs reprises de restreindre l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En vain. Depuis, les leaders successifs du Parti conservateur sont régulièrement soupçonnés de vouloir rouvrir le débat. Même si parmi les six candidats qui briguent aujourd’hui sa direction, vacante depuis février, seule Leslyn Lewis, l’unique femme dans la course, se dit ouvertement opposée à l’avortement. Elle a reçu l’appui enthousiaste de Campaign Life Coalition, une puissante organisation canadienne anti-IVG.
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