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Policier britannique pendant vingt-six ans, dont la moitié passée à infiltrer des réseaux de trafiquants de drogue, Neil Woods est membre du conseil d’administration de Law Enforcement Action Partnership (LEAP). Cette organisation internationale, qui rassemble policiers de haut rang en activité ou à la retraite, spécialistes des questions de sécurité, magistrats et universitaires, plaide pour une réglementation du marché des stupéfiants.
Pas un jour ne passe sans saisie de drogue. Est-ce le signe d’une action plus efficace des services de police ?
Il faut absolument remettre en question ce récit policier. Nous sommes constamment bombardés d’images d’arrestations et de saisies mais c’est une illusion totale. Même lorsque la police enregistre des succès, ce succès n’a aucun sens, il est purement théorique. Son action ne réduit jamais la taille du marché, elle en modifie juste la forme. Or, ce changement contribue toujours à aggraver la situation.
C’est-à-dire ?
Prenons un exemple courant : la police démantèle un gang qui contrôle le trafic dans un quartier. En faisant cela, elle crée un nouveau marché. Or, qui est le plus capable de s’en emparer ? Un autre gang, qui augmente alors son revenu disponible. Et comment cet autre réseau utilise-t-il cet argent ? En se livrant à la corruption, parce que cela lui permet de sécuriser ses filières d’approvisionnement, de réduire ses coûts commerciaux et de réaliser davantage de profits. Le mécanisme même de la lutte antidrogue crée cet appel d’air pour la corruption.
L’action de la police ne permet-elle pas au contraire de limiter la diffusion des drogues ?
Les stupéfiants n’ont jamais été aussi disponibles, moins chers et variés. L’offre est surabondante ! A Paris comme à Londres, vous pouvez vous faire livrer de la cocaïne à domicile plus vite qu’une pizza. La vérité, c’est que l’action de la police n’est pas seulement inutile, elle est contre-productive. Dans son sillage, la criminalité augmente toujours. J’ai discuté récemment avec des détectives à Baltimore et ils tiennent tous le même propos : chaque fois qu’ils arrêtent des trafiquants, le taux d’homicides augmente. Au sein de LEAP, nous continuons à regarder le problème du point de vue des policiers que nous sommes ou avons été et nous voulons continuer à lutter contre le crime organisé. Mais notre expérience démontre que la seule façon d’y parvenir consiste à couper les trafiquants de leurs sources de revenus.
De quelle manière ?
En réglementant légalement le marché des stupéfiants en fonction des risques associés à chaque substance. Nous sommes conscients que cela peut effrayer une partie de l’opinion mais les faits sont là : lorsque vous permettez la prescription encadrée d’héroïne à des « consommateurs problématiques », vous constatez qu’ils s’occupent mieux d’eux parce qu’ils connaissent le produit, qu’ils sont en mesure de faire face à leur addiction de manière plus efficace. Et ce traitement coûte moins cher que faire la chasse aux dealers ou mettre du monde en prison. Sans compter qu’en faisant cela, vous videz littéralement les poches des trafiquants. C’est la même chose avec le cannabis. Réglementer le marché permettrait de rompre les liens entre le crime organisé et la population, surtout les jeunes. Cela permet aussi d’adopter une approche orientée vers la santé publique. Il s’agit ni plus ni moins que de prendre le contrôle dans un domaine sur lequel les pires éléments de notre société exercent leur mainmise.
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