A Vitré, en Ille-et-Vilaine, les services de protection de l’enfance ont retiré provisoirement deux enfants à leur famille, dont un bébé qui venait de naître à domicile. Si les autorités démentent tout lien entre cette naissance à domicile et le placement, l’affaire a suscité un grand émoi et a donné lieu à diverses rumeurs sur le cadre légal de l’accouchement à domicile en France. Qu’en est-il ?
Rien n’interdit l’accouchement à domicile
En France, aucun texte de loi ne prohibe l’accouchement à domicile (AAD). « Ils peuvent survenir de façon inopinée tout comme être souhaités et organisés par la future maman », explique la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé, contactée par e-mail. Une femme peut accoucher chez elle par « accident », mais aussi par choix, en étant accompagnée par une sage-femme (« accouchement assisté à domicile ») ou non (« accouchement non assisté »).
Toutefois, la quasi-totalité des naissances surviennent en milieu hospitalier depuis les années 1950, en raison des progrès médicaux et des politiques publiques de périnatalité, destinées à réduire la mortalité infantile.
Selon des données historiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), entre 1980 et 2016, les naissances dites « extra-hospitalières » représentent entre 0,5 % et 1,9 % du total (738 000 naissances par an en 2021), avec une très grande majorité d’accouchements « assistés ».
L’Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile, qui réunit quelque 70 sages-femmes libérales accompagnant des femmes, de la grossesse à la naissance, réalise son propre décompte dans ses rapports d’activité. En 2018, elle recensait 1 347 femmes ayant choisi l’AAD, dont 133 avaient dû être transférées en maternité. En 2019, 1 298 femmes étaient suivies : 1 081 ont commencé le travail à domicile et 910 ont effectivement accouché chez elles sans nécessité de transfert (avant ou après la naissance). En 2020, année marquée par la crise sanitaire, 1 503 femmes ont entrepris une démarche d’AAD, 223 ont été orientées vers une maternité en cours de grossesse, 150 ont commencé leur travail à domicile mais ont dû être transférées avant la naissance de l’enfant.
L’AAD n’est pas encouragé par les autorités
La DGOS, garante de l’offre de soins en fonction des orientations de santé publique, résume ainsi le cadre politique français : si les accouchements à domicile sont possibles, « nous considérons qu’ils ne permettent pas, dans des conditions optimales, de répondre aux besoins de sécurité et de qualité des prises en charge qui doivent entourer la naissance, situation qui n’est jamais exempte de risques, ni pour la mère ni pour l’enfant ».
Le ministère de la santé promeut le développement d’une voie médiane entre milieu médical et domicile, avec les maisons de naissance, « des structures très peu médicalisées et situées hors les murs de l’hôpital ». Après des années de tergiversations, une loi a permis leur création à titre expérimental en 2013, toujours accolées à des hôpitaux. Il en existe huit à ce jour, dans lesquelles les femmes ayant une grossesse dite « à bas risque » peuvent être exclusivement prises en charge par des sages-femmes.
Les notions de sécurité et de risques encourus sont centrales dans la production de normes médicales. Et l’accouchement à domicile est considéré comme étant plus « à risque ». Même si la discussion scientifique à ce sujet est complexe et nuancée. « En France, la naissance est considérée comme “à risque” a priori. On postule que le risque médical est tout le temps présent, qu’une pathologie peut surgir chez la mère comme l’enfant jusqu’après la naissance. Le corps médical met en place des protocoles, des technologies de surveillance pour le mesurer et éventuellement le contrer. Ces mesures s’appliquent à l’ensemble des femmes, y compris à celles qui sont classées comme étant à bas risque », analyse Béatrice Jacques, sociologue spécialiste de la santé, autrice d’une thèse sur l’accouchement. D’autres pays, comme les Pays-Bas, ont un postulat inverse. « On n’ignore pas les risques, mais on interviendra lorsqu’ils se déclarent, rapporte-t-elle. La naissance est moins médicalisée, parce que le corps médical préfère laisser faire la physiologie et n’intervenir que lorsque c’est nécessaire. »
D’autres pays européens se sont aussi ouverts à l’AAD assisté. En Angleterre, les collèges d’obstétriques le soutiennent, dans des conditions bien spécifiques (grossesse « à bas risque », accouchement à domicile planifié et organisé, transfert simple et rapide dans une maternité de secteur…). Mais il reste minoritaire : 2,7 % des Anglaises donnaient naissance à domicile en 2017, selon le National Health Institute.
Le milieu médical reste réticent
En France, l’AAD est un sujet de débat au sein du milieu médical, entre les gynécologues obstétriciens et les sages-femmes, particulièrement celles qui exercent en milieu libéral. Diplômées d’Etat et conventionnées par la Sécurité sociale, ce sont les seules au sein de la profession médicale à pouvoir le pratiquer.
Les obstacles sont nombreux : résistances de leur profession et du conseil national de l’ordre des sages-femmes ; difficulté, voire impossibilité de s’assurer à des tarifs raisonnables ; dialogue ardu avec les maternités censées accueillir leurs patientes en cas de problème… « Tout est fait pour nous dissuader », estime Floriane Stauffer-Obrecht, sage-femme libérale à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, depuis 2008, au point qu’elle voit sa pratique « comme un acte de désobéissance civile ».
Depuis la loi Kouchner de 2002, les professionnels de santé sont tenus de se doter d’une assurance professionnelle en responsabilité civile. Mais les sages-femmes libérales pratiquant des AAD sont dans un « vide », puisque des contrats qui leur sont proposés sont équivalents à ceux des gynécologues-obstétriciens, sans qu’elles aient ni les mêmes pratiques ni les mêmes revenus. « Les primes d’assurance oscillent entre 20 000 et 30 000 euros à l’année… In fine, aucune ne s’assure », estime Etienne Tête, avocat qui défend plusieurs sages-femmes faisant l’objet de procédures disciplinaires de la part du conseil de l’ordre.
Les débats récents sur les violences obstétricales, ainsi que les fermetures de maternités, font cependant bouger les lignes en matière d’accouchement. En témoigne l’expérimentation lancée en 2018 par le gynécologue obstétricien Jacky Nizard, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Estimant que l’accouchement à domicile restait un impensé politique en France, malgré les demandes de femmes, il a entrepris de faire dialoguer les différents acteurs médicaux concernés (sages-femmes, SAMU et pompiers appelés en cas de transfert, hôpital de rattachement…). « Si ça se passe mal, c’est nous, à l’hôpital public, qui accueillons les complications. Autant travailler en amont », explique-t-il. Ces acteurs se parlent désormais sur une base mensuelle, et les patientes suivies par des sages-femmes pratiquant l’AAD sont également examinées, en fin de grossesse, par Jacky Nizard. Une cinquantaine de femmes sont ainsi accompagnées, à la fois par une sage-femme et un hôpital, dans leur projet de naissance à domicile.