C’est un nouvel élément, décisif et explosif, dans la controverse sur la dangerosité du glyphosate. Le Monde, aux côtés de plusieurs médias européens, dont The Guardian, Der Spiegel, De Standaard ou encore la télévision publique allemande, a pu consulter la première évaluation indépendante des 53 études réglementaires confidentielles de génotoxicité, qui ont permis la réautorisation de l’herbicide controversé en Europe, en 2017. Jamais, jusqu’à présent, des scientifiques indépendants n’avaient pu consulter le détail de ces études et les commenter publiquement sans encourir de poursuites judiciaires. Commandée par l’ONG SumOfUs à deux scientifiques autrichiens et rendue publique vendredi 2 juillet, cette analyse éclaire les divergences de vue sur les propriétés de toxicité pour l’ADN (étape-clé de la cancérogenèse) de l’herbicide le plus vendu au monde.
Les deux auteurs de cette évaluation, Siegfried Knasmueller et Armen Nersesyan, sont chercheurs à l’Institut de recherche sur le cancer du Centre hospitalo-universitaire de Vienne (Autriche) et spécialistes internationalement reconnus de toxicologie génétique. Selon eux, la grande majorité des 53 études réglementaires qui ont fondé l’opinion des autorités sanitaires européennes sur la génotoxicité du glyphosate ne remplissent pas les critères de qualité attendus. « Parmi ces études, quelques-unes sont acceptables, mais la majorité sont un désastre », dit le professeur Siegfried Knasmueller, également éditeur en chef de la revue Mutation Research/Genetic Toxicology and Environmental Mutagenesis. « Je me demande comment elles ont pu être considérées comme acceptables par les autorités sanitaires », ajoute-t-il.
Pour comprendre, il faut se souvenir que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), la principale autorité de classification des agents cancérogènes dans le monde, estime depuis 2015 que le glyphosate est un « cancérogène probable » et qu’il existe des « preuves fortes » de sa génotoxicité. A l’inverse, les agences réglementaires en Europe et aux Etats-Unis jugent que de telles preuves n’existent pas.
L’une des raisons à cette divergence est la nature des travaux considérés de part et d’autre. D’un côté, le CIRC a fondé son analyse sur les études publiées par des chercheurs du monde académique dans les revues savantes. L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), rendue publique le 30 juin, a procédé de même et conclut que « de nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa structure) » induits par le glyphosate. Quant aux agences sanitaires, en particulier l’Institut fédéral d’évaluation des risques allemand (BfR) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), elles ont estimé non fiable la littérature scientifique sur le sujet, et ont essentiellement fondé leur expertise sur les études confidentielles fournies par les firmes. Ces tests réglementaires sont soumis à un cahier des charges strict (dit « bonnes pratiques de laboratoire », ou BPL), défini par une série de « lignes directrices » établies notamment par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
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