La première clope représente une sorte d’épreuve, de mauvais moment à passer – avec les pairs, loin du cadre familial et scolaire. « J’avais 15 ans et j’ai trouvé ça dégueulasse ! », se souvient Emily, 20 ans, étudiante en Angleterre en sciences bio vétérinaires, à l’instar des nombreux jeunes interrogés qui ont tous gardé le mot « dégueulasse » en bouche.
« Tout se passe comme si le dégoût du tabac était, précisément, ce qui fait l’intérêt de cette expérience : l’enjeu semble en effet d’affronter ce qui révulse et de surmonter une sensation de l’ordre de l’aversion », décrit l’enquête qualitative Aramis, publiée fin 2017 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
Pour Emily, il n’était pas question de renoncer à un tel rite de passage – à la fois social, culturel et émotionnel. « Je me suis dit : tout le monde le fait, il faut réessayer sinon tu vas avoir l’air nulle et pas drôle », raconte-elle. A présent, la jeune femme fume une dizaine de cigarettes par jour – « des roulées, parce qu’en Angleterre ça coûte une fortune ».
« C’est un piège »
Support de construction identitaire, les volutes de fumée répondent aujourd’hui encore aux attentes adolescentes. « Quand vous n’êtes pas bien dans votre corps, que votre physique se transforme, que vous êtes en hésitation, certains objets vous permettent comme par magie d’être regardé autrement, analyse le psychologue Jean-Pierre Couteron, spécialiste en addictologie. Si on vous dit que fumer cette cigarette fera de vous un homme, ou une femme, plus mûr et plus sûr de vous, vous allez franchir le pas. »
« Expérimenter avant 15 ans (…), c’est avoir deux risques sur trois de devenir fumeur régulier » Daniel Thomas, cardiologue
Paul, 24 ans, futur professeur d’histoire-géographie, en témoigne : « C’est le geste qui rassure, même si au goût ce n’est pas terrible ! On voit les grands qui fument, on a envie d’être comme eux. C’est un truc qui donne une sorte de confiance en soi : au moins, on sait quoi faire de ses dix doigts. »
Le premier contact avec le tabac constitue « une conformation sociale plus qu’une transgression », analyse l’enquête Aramis. Entre « l’expérience initiatique » et le « passage banal et conventionnel ». C’est aussi ce que décrit Chloé, née en 2000, qui a essayé « à 16 ans, en soirée » après quelques verres. « Dans ma famille, il y a eu beaucoup de cancers à cause de la cigarette. Pour moi, c’était impossible que je m’y mette. Mais quand tout le monde fume autour de toi, tu te laisses embarquer. »
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