Plus qu’un conflit de valeurs entre liberté individuelle et solidarité collective, ce qui oppose les deux parties dans le débat actuel de l’aide active à mourir est bien la facilité à renoncer, à faire son deuil de l’une de ces valeurs. Mais s’il s’agissait surtout d’un choix politique, plus qu’éthique ? Est-on en présence d’un tel dilemme ? L’analyse des enjeux semble bien montrer que, quel que soit le choix politique final, la légalisation ou non de l’aide active à mourir ne pourra être que sacrificielle.
Les lois actuelles interdisent euthanasie et suicide assisté. Les efforts portent donc sur le renforcement des soins palliatifs, l’écoute du malade à travers ses directives écrites ou sa personne de confiance, et, en cas de situation extrême et de maladie fatale à court terme, une sédation profonde et continue. Or, si optimal soit-il, le développement des soins palliatifs laissera toujours dans un cône d’ombre les personnes dont la pathologie n’est fatale « qu’à » moyen terme. Celles-ci, ne voulant pas subir une inéluctable dégradation, n’ont aujourd’hui d’autre moyen que d’aller en Suisse ou en Belgique. C’est un choix individuel. Ne pas leur répondre est un choix collectif. Il peut être respectable, mais il doit être assumé, nommé, et non dissimulé sous la promesse de jours meilleurs par un hypothétique essor de la médecine palliative.
On se dit alors qu’il suffirait de légaliser l’aide active à mourir pour tirer ces malades de l’angle mort où prudence légale et rigueur éthique les ont placés. Mais est-ce si simple, et le prix à payer serait-il nul ? Sans doute non, car l’obsessionnelle précaution qui prévaut aujourd’hui face à une demande d’aide à mourir pourrait bien faire place, fût-ce de façon exceptionnelle, à une commodité d’exécution permise et protégée par la loi. Ainsi, les enseignements venus de l’étranger (mais aussi de cas hexagonaux tristement médiatiques) doivent être scrupuleusement examinés, dans toutes leurs dimensions.
Céder à un sentiment d’inutilité
Les situations de mise en œuvre expresse de certaines euthanasies doivent être regardées avec autant de réserve, mais aussi de crédit, qu’on reçoit avec respect le témoignage irréprochable et humaniste du médecin François Damas en Belgique. Mais le point critique n’est pas tant celui de ces cas douloureux, certes, mais heureusement exceptionnels. Il faut regarder plus loin, et s’interroger sur la considération d’une société pour les plus vulnérables, handicapés, dépendants, âgés, malades, déprimés…
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