Livre. En un peu moins de trois siècles, l’espérance de vie à la naissance a presque triplé. D’immenses inégalités persistent, entre les régions du monde et au sein de chaque pays, mais le fait est là : en moyenne, l’indice roi de notre bien-être, l’indiscutable métrique du progrès humain, a augmenté dans des proportions considérables au cours des dernières décennies. Cet extraordinaire succès n’a pourtant, en tant que tel, généré que peu de réflexions ; il existe quantité d’histoires de la médecine, mais bien peu d’histoires de la santé humaine.
Avec sa Grande Extension, le médecin et épidémiologiste Jean-David Zeitoun comble cette lacune et montre que l’amélioration de l’état sanitaire de notre espèce n’est ni une propriété émergente des seuls progrès de la médecine, ni une conséquence mécanique du développement économique. C’est tout l’apport de cet essai, dense et brillamment mené : raconter, à travers l’histoire, la diversité des causes sous-jacentes à l’élévation de l’espérance de vie, et montrer que derrière cette courbe qui semble grimper de manière si monotone depuis la fin de la seconde guerre mondiale, se cachent une myriade de déterminants qui tiennent autant de la médecine que des grandes révolutions techniques et industrielles, des transitions économiques, de la richesse et des inégalités sociales, de l’impact du marketing sur les comportements collectifs, ou encore de l’état de l’environnement.
Sans négliger les apports de personnalités remarquables – du médecin britannique Edward Jenner (1749-1823), l’inventeur de la vaccine, l’ancêtre de nos vaccins, aux économistes Anne Case et Angus Deaton, théoriciens des « morts du désespoir » de l’Amérique du XXIe siècle –, dont les portraits scientifiques forment l’une des trames de l’ouvrage.
Mortalité infantile très élevée
Son premier constat est simple : c’est celui d’une relative stagnation de l’espérance de vie, du néolithique au début du XVIIIe siècle, à des niveaux d’une grande médiocrité. Probablement autour de 25 à 30 ans. Jean-David Zeitoun met en garde contre les interprétations rapides. Cela ne signifie pas que la plupart des femmes et des hommes mouraient autour de cet âge, mais plutôt que la mortalité infantile était très élevée. « Il est probable que jusqu’au XVIIIe au moins, la moitié des enfants mouraient avant l’âge de dix ans », écrit-il. Sous-nutrition, violences, infections : c’est ce triptyque qui prenait le plus de vies.
L’un des premiers événements sanitaires notables est, au siècle des Lumières, la montée en puissance de la « variolisation », cette technique rudimentaire d’immunisation contre la variole qui évoluera vers la vaccine. Avec les Lumières, le goût pour l’exploration scientifique et l’acquisition du savoir se met au service de la santé. La vaccination contre la variole aura, en quelques décennies, des effets massifs sur la baisse de la mortalité.
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