
Chanvre ? Marijuana ? Cannabis ? Ces noms renvoient à une même espèce végétale, Cannabis sativa. Au fil de sa domestication, cette plante s’est scindée en deux principaux groupes. Il y a, d’abord, les variétés destinées à la production de fibres (textiles et cordes) et de graines : c’est le groupe du chanvre. Il y a, ensuite, les variétés qui produisent de fortes concentrations de composés chimiques, les « cannabinoïdes », aux fameuses propriétés psychoactives (d’usage illégal dans la plupart des pays) : c’est le groupe de la marijuana. Quant au terme cannabis, dans le langage commun, il désigne la plante ou la drogue qui en dérive. Aucun de ces noms, cependant, ne correspond à une classification scientifique.
« L’histoire évolutive du cannabis a très peu été étudiée », relève Luca Fumagalli, de la Faculté de biologie et de médecine de Lausanne (Suisse). Cette lacune est aujourd’hui comblée. La saga de Cannabis sativa, retracée par une équipe internationale coordonnée par ce chercheur, nous est contée dans la revue Science Advances du 16 juillet. Où l’on (re)découvre que cette plante fascinante est, en réalité, une des plus anciennes espèces végétales domestiquées – et pas seulement, loin de là, pour ses effets planants.
Les auteurs ont analysé les génomes de 110 variétés de chanvre ou de marijuana : plantes collectées dans la nature en Asie, variétés locales, cultivars historiques, hybrides modernes. « Nous avons mis plusieurs années à récolter ces échantillons avec une couverture géographique mondiale », confie Luca Fumagalli. Les interdits pesant sur la marijuana, il est vrai, n’ont pas facilité les choses.
Dès le début du Néolithique
Les chercheurs ont déchiffré les génomes complets de 82 variétés, et analysé les données génomiques déjà publiées pour 28 autres variétés. Puis ils les ont comparés par bio-informatique. Ils ont aussi modélisé différents scénarios évolutifs. Verdict : cette plante a été cultivée dès le début du Néolithique, il y a 12 000 ans. Cette domestication a eu lieu en Asie de l’est, non en Asie centrale comme les chercheurs le croyaient. Cannabis sativa, alors, a vraisemblablement été cultivée comme source polyvalente de fibres, de graines et d’insecticides et pour ses propriétés récréatives.
Autre surprise : aucune des plantes collectées dans la nature, même en Himalaya, n’était à proprement parler sauvage. Toutes sont des plantes « férales », c’est-à-dire anciennement domestiquées puis retournées à la nature. « Il n’existe probablement plus de cannabis sauvage », résume Luca Fumagalli. L’étude révèle aussi que cette espèce a divergé non pas en deux, mais en trois lignées. La première regroupe de nombreuses variétés férales en Chine. Quant aux deux autres, elles rassemblent les variétés qui ont donné respectivement le chanvre et la marijuana, et qui se sont séparées l’une de l’autre il y a environ 4 000 ans. L’homme, alors, a commencé à fortement sélectionner la plante pour ses capacités à produire soit des fibres, soit des cannabinoïdes. Il y a eu très peu d’échanges génétiques entre ces deux lignées.
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