
D’un côté la loi, de l’autre, sa mise en œuvre. Alors que l’hémicycle de l’Assemblée nationale résonnera fin novembre des débats sur l’opportunité ou non d’inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), les professionnels de santé qui pratiquent les avortements le savent : voter une loi ne garantit pas qu’elle s’applique.
La preuve avec le déploiement inégal du dernier changement législatif portant sur l’avortement en France, la loi Gaillot, qui a allongé de quinze jours les délais pour avorter, passés de douze à quatorze semaines de grossesse.
Huit mois après son adoption le 2 mars, « il existe des endroits en France où les femmes ne sont toujours pas prises en charge au-delà de douze semaines de grossesse, et qu’on réoriente vers des centres qui appliquent la loi », dénonce la médecin Laura Marin Marin, porte-parole de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic), qui réunit des professionnels de santé pratiquant des avortements.
L’Ancic dispose d’antennes sur une bonne partie du territoire national et les remontées sur la prise en charge des femmes désireuses d’avorter tardivement sont diverses. Tel un miroir grossissant des difficultés plus larges d’accès que rencontrent les femmes. « Il arrive qu’elles ne soient pas correctement informées sur l’allongement des délais, y compris par des professionnels de santé qui n’ont pas forcément connaissance de cette évolution législative », avance le docteur Marin Marin.
Nouveaux gestes techniques
Lors des vifs débats ayant précédé l’adoption du texte, les professionnels de santé qui s’y opposaient mettaient en avant les nouveaux gestes techniques qu’implique une IVG passé un certain délai. « Une partie de ceux qui étaient contre ont donné des arguments principalement techniques, assez choquants, pour étayer cette réticence, relève le docteur Marin Marin. Pourtant il est depuis longtemps possible dans notre pays d’interrompre des grossesses jusqu’au terme, dans le cadre des interruptions médicales de grossesse, et par ailleurs les IVG à quatorze semaines ou plus sont pratiquées sans risque dans des pays voisins comme la Hollande ou l’Espagne. »
A partir de treize semaines de grossesse, « une simple aspiration peut ne pas suffire, en fonction de la taille de l’embryon. Il est souvent nécessaire d’utiliser une pince pour prélever ce qui reste dans l’utérus », admet le docteur Philippe Faucher, pourtant favorable à l’allongement. « Je peux comprendre que certains refusent de le faire, même si cela pose question quand on exerce à l’hôpital public, et que ce même argument était utilisé lors du précédent allongement des délais, en 2001, qui n’impliquait pas un nouveau geste, observe le médecin gynécologue obstétricien et président du Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie (Revho). Mais ce qu’il faut, c’est alors adresser rapidement les femmes à un centre qui accepte de les prendre en charge. » Le Revho tient les comptes. Selon ce réseau de médecins franciliens, en Auvergne-Rhône-Alpes, seuls vingt et un centres sur soixante-trois font des IVG entre douze et quatorze semaines de grossesse. Ils sont dix-neuf sur quarante en Occitanie.
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