Tribune. Dix membres de l’association Ultime liberté, dont moi-même, viennent d’être mis en examen pour avoir aidé des personnes, après avoir vérifié leur volonté et leur lucidité, à se procurer à l’étranger du pentobarbital, le produit permettant de quitter la vie dignement.
Il y a là un paradoxe. Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, l’assistance au suicide est légale en France. D’abord pour des raisons de principe : le suicide n’étant pas un délit, l’assistance à un acte qui n’est pas un délit ne saurait en être un. C’est pourquoi les poursuites à ce sujet ont toujours recouru au subterfuge juridique d’un autre article du code pénal : celui qui punit la « non-assistance à personne en danger ».
Mais ici encore, les difficultés sont grandes. L’aide à une personne qui se met volontairement en danger, en pleine conscience de ce qu’elle fait, n’est pas punissable, sinon, il faudrait poursuivre les moniteurs d’alpinisme, les fournisseurs de matériel d’escalade et autres sports extrêmes ! On suppose donc que la personne est en danger, non du fait de sa propre volonté, mais du fait d’une maladie qui altère son jugement (dépression, schizophrénie, etc.) ou de pressions insistantes qu’elle aurait subies (« abus de faiblesse »).
Jurisprudence bien établie
Si l’on peut prouver la pleine lucidité et capacité de jugement de la personne, alors il ne saurait y avoir de délit. C’est ce qu’a jugé, en novembre 2016, la cour d’appel de Lyon (jugement confirmé en cassation). Il a acquitté Jean Mercier, qui avait aidé sa femme à prendre les médicaments lui permettant de mourir quand elle l’a souhaité. C’est ce qu’a estimé l’officier de police judiciaire qui, à Grenoble, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les proches d’André Béranger, un enseignant et militant très populaire dans son quartier. Ils l’avaient assisté pareillement ; il avait annoncé publiquement son intention de se suicider, du fait d’une grave maladie dégénérative.
C’est enfin ce que semblent avoir estimé les juges du parquet de Paris, qui poursuivent les dix membres de l’association Ultime liberté, dont je suis, pour « complicité d’acquisition et d’importation de substances illicites » et « propagande en faveur d’un produit susceptible d’entraîner la mort ». Ils n’ont pas retenu l’incrimination d’avoir été présents « jusqu’au bout » auprès de personne ayant décidé librement de quitter la vie – alors que nous n’avions pas caché ce point lors de nos gardes à vue.
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