
L’industrie du tabac a toujours excellé dans le marketing. Après avoir commercialisé pendant des décennies un produit notoirement dangereux en utilisant des stéréotypes de gens élégants et branchés ou d’aventuriers avides de grands espaces, les cigarettiers changent de stratégie, mais pas de méthode. Ils s’appuient toujours sur des messages rassurants et séduisants pour maximiser leurs profits, mais, désormais, c’est pour promettre un monde sans… cigarette.
Le directeur général de Philip Morris International, Jacek Olczak, a ainsi appelé il y a quelques jours les pouvoirs publics à adopter pour les cigarettes la même approche que pour les moteurs thermiques dans l’industrie automobile, à savoir, les interdire à terme. « Le plus tôt ça arrivera, le mieux ce sera pour chacun », expliquait M. Olczak au Telegraph, qui pense que, d’ici dix ans, le problème peut être résolu « une fois pour toutes », l’idée étant d’imposer sur le marché des produits de substitution consistant à chauffer le tabac et non plus à le consumer, ce qui réduirait les effets nocifs.
Outre le fait que ce constat a été scientifiquement contesté en 2020 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le délai proposé est indécent au regard des dégâts provoqués par la cigarette. Si l’interdiction voyait le jour d’ici une dizaine d’années, le tabac aurait le temps de tuer 70 millions de personnes. Les cigarettiers ne peuvent plus décemment nier que leur produit est nocif, le secteur a perdu plusieurs procès retentissants contre des victimes du tabac, son modèle économique est attaqué de toutes parts par les politiques de santé publique et on devrait accepter sans broncher d’en prendre encore pour dix ans ?
Vendre un poison et son antidote
Le cynisme de ces entreprises est sans limite. Philip Morris vient de provoquer une polémique en annonçant le rachat pour 1,16 milliard d’euros de Vectura, un groupe pharmaceutique qui fabrique des inhalateurs pour l’asthme et les affections pulmonaires chroniques. Vendre un poison et un antidote capable d’atténuer ses effets, il fallait y penser ! Sans vergogne, l’industrie du tabac se présente comme la solution à un problème, dont elle est responsable en faisant la promotion d’un produit, certes légal, mais que l’on sait potentiellement mortel.
« Le tabac est la première cause de cancer et le premier problème de santé publique modifiable, rappelle Jean-David Zeitoun, docteur en épidémiologie clinique. On estime qu’environ 1,5 milliard de personnes fumaient en 2020. Ces fumeurs peuvent s’attendre à vivre environ neuf années de moins que les non-fumeurs », souligne-t-il dans son ouvrage paru en mai, La Grande Extension : histoire de la santé humaine (Denoël, 338 pages, 21 euros). « Fumer engendre une vie moins longue et moins bonne. Ce fardeau n’a pas d’équivalent et pourtant le tabac vit encore et il vit même très bien. Le marché croit de 3 % par an et dégage 50 milliards de dollars de bénéfices chaque année », insiste-t-il.
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