
En France, Camilla Läckberg est connue pour ses romans policiers, vendus à près de 30 millions d’exemplaires dans une soixantaine de pays. En Suède, cette influenceuse aux 296 000 followers sur Instagram, diplômée de l’école de commerce de Göteborg, est aussi une redoutable businesswoman, aux intérêts multiples. C’est ainsi qu’en décembre 2019 elle annonçait, à grand renfort de publicité, son incursion dans le secteur de la santé, avec l’ouverture d’une clinique privée, Hedda Care, à Stockholm, réservée aux femmes.
En quelques jours, ce projet est devenu le symbole de toutes les dérives d’un système de santé à deux vitesses, de plus en plus éloigné du modèle universel qui a fait la fierté des Suédois. Car la clinique de la reine du polar, installée dans le quartier chic de Stureplan, est réservée à un public bien particulier : celui des patientes ayant souscrit une assurance-santé privée, capable de couvrir le tarif exorbitant des consultations.
En 2000, autour de 100 000 Suédois avaient souscrit une assurance-santé privée. Aujourd’hui, ils sont sept fois plus, dans un pays de 10 millions d’habitants. Dans 60 % des cas, l’assurance est payée par l’employeur. Selon l’organisation des assureurs suédois Svensk Försäkring, le tarif peut varier de 300 à 600 couronnes en moyenne par mois. L’avantage en cas de problèmes de santé : la possibilité d’obtenir une consultation rapidement, en évitant les longues files d’attente
Ouverture à la concurrence des cabinets médicaux
Rien d’exceptionnel jusque-là. Sauf qu’en Suède, une grosse majorité des cliniques privées, en contact avec les compagnies d’assurances, sont aussi sous contrat avec les régions, chargées de la santé, et donc largement financées par l’argent des contribuables. Or, si la plupart des établissements le démentent, plusieurs enquêtes journalistiques ont révélé ces dernières années que les patients dotés d’une assurance privée obtenaient, en général, un rendez-vous en priorité.
« Cela va à l’encontre de la loi sur la santé, qui dit que les soins doivent être fournis en fonction des besoins », constate John Lapidus, professeur d’économie à l’université de Göteborg. Ce spécialiste de l’Etat-providence suédois critique une privatisation « qui est en train de créer progressivement une équipe A et une équipe B dans le secteur de la santé ». Il dénonce un système qui se mord la queue : « Plus le secteur de la santé est privatisé, plus il a recours à des financements privés, et plus les assurances se développent, plus il y a une pression pour ouvrir des cliniques privées. »
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