
Rien d’étonnant à ce que des physiciens s’intéressent aux chocs dans le sport. Mais que ce soit des spécialistes de mécanique des fluides est plus surprenant. Une équipe de l’Ecole polytechnique a ainsi présenté à la conférence Sports Physics, à Lyon, en décembre 2021, son hypothèse osée, mais plausible, d’explication des traumatismes cérébraux légers (plus connus sous le nom commun de « commotion cérébrale ») et de leur détection.
« Environ 7 % à 10 % des 35 000 à 50 000 traumatismes annuels que nous voyons aux urgences en Ile-de-France sont liés au sport, rappelle Philippe Deck, chef de service de neurochirurgie à l’hôpital Beaujon (AP-HP), et membre de plusieurs groupes de travail sur le sujet à la Fédération française et à la Fédération internationale de rugby. Au rugby, c’est environ deux par journée de championnat de Top 14 qui sont recensés. »
Le diagnostic n’est pas simple, car les symptômes et critères sont nombreux et peuvent apparaître vingt-quatre à quarante-huit heures après le choc. La perte de connaissance n’est ainsi pas systématique. D’autres dysfonctionnements des fonctions cérébrales, repérés par exemple au rugby par des questionnaires dans les vestiaires, sont recensés comme des troubles de la mémoire, un état mental perturbé, ou des pertes d’équilibre.
Mais l’origine de ces maux est mal connue. « Le choc entraîne un dysfonctionnement cellulaire dans le cerveau. Celui-ci, qui consomme beaucoup d’énergie, se met à en manquer et met du temps à récupérer », estime Philippe Deck. D’autres évoquent des conséquences des contacts avec la boîte crânienne. Les physiciens de l’Ecole polytechnique ont testé une autre idée, émise dans les années 1970 par d’autres physiciens : l’apparition de bulles dans le liquide cérébrospinal, qui, en implosant, abîmeraient les neurones.
Modélisation de l’énergie des bulles
Aucun sportif n’a été secoué pour éprouver l’hypothèse, mais un analogue expérimental de leur cerveau a été construit : un cylindre rempli d’eau tombe sur différents objets plus ou moins durs afin de varier l’intensité et le temps de l’impact. Lors du choc, une dépression apparaît entre le bas et le haut du cylindre à cause de l’inertie du fluide. Cette dépression crée une bulle d’environ un millimètre de diamètre. Celle-ci implose en une onde de choc susceptible de détériorer les neurones. Elle peut aussi propulser un jet de liquide assez fort contre le cerveau et l’abîmer.
Après avoir modélisé l’énergie libérée par ces bulles, Juliette Amauger, la doctorante sur ce projet conduit par Caroline Cohen et Christophe Clanet, a retrouvé un résultat bien connu depuis des travaux d’accidentologie automobile dans les années 1960. Selon ces études, le risque de commotion dépend de l’intensité du choc (de 50 à 150 fois la pesanteur terrestre) et du temps (de deux à vingt millisecondes). Un choc court n’est dangereux qu’à haute intensité, alors qu’un choc long peut être néfaste même pour des chocs faibles. Et c’est cette loi que les physiciens ont retrouvée. « Même si nous n’avons pour l’instant aucune preuve in vivo que ce phénomène de cavitation existe dans ces circonstances, l’hypothèse est plausible et le travail est passionnant », constate Philippe Deck.
Il vous reste 23.37% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.