EnquêteSur les réseaux sociaux et dans des groupes de parole, les femmes enceintes et les jeunes mères se lâchent. Elles osent désormais témoigner de l’âpreté de leur quotidien, loin d’une vision enchanteresse qui leur a longtemps imposé le silence.
Entre le premier enfant d’Elsa Serot, né il y a sept ans, et son dernier, qui a moins de 1 an, « cela n’a plus rien à voir ». « Avant, parler maternité se résumait souvent à “c’est génial, tu verras”. Aujourd’hui, on est extrêmement informées sur tout. » Pour se renseigner lors de sa première grossesse en 2014, la jeune femme – 28 ans à l’époque – avait le choix entre « La Maison des maternelles », émission-phare du service public sur la maternité, et Baby Boom, le docu-réalité de TF1, qui filmait en immersion des accouchements au sein de plusieurs maternités françaises. La bible intergénérationnelle de Laurence Pernoud J’attends un enfant (première édition : 1956), quelques forums et sites aux contenus plus ou moins sérieux ainsi qu’une poignée de cours de préparation à l’accouchement complétaient l’offre. Le tout dans un climat flirtant bien souvent avec un récit enchanté. En ces temps pourtant pas si lointains, devenir mère relevait encore de l’épiphanie presque obligée.
A partir de 2018, les podcasts sur la maternité – « Bliss Stories » et « La Matrescence » pour n’en citer que deux – se sont multipliés, rencontrant rapidement leur public, et faisant émerger un nouveau discours. Quatre ans plus tard, on ne compte plus les livres, blogs et comptes Instagram consacrés au sujet. Sur les réseaux sociaux, les mères parfaites entourées de leurs enfants aux habits immaculés ont peu à peu fait place à celles qui montrent l’envers du décor, de la grossesse au post-partum en passant par l’accouchement. « Mon corps est plus mou, mes seins tombent un peu plus chaque jour, les vergetures se sont bien installées et, pourtant, j’y trouve une certaine beauté », écrivait la chanteuse et actrice française Juliette Katz sur son compte @coucoulesgirls.
Comme si, face à l’extrême lissage des images, certaines avaient ressenti le besoin de partager un miroir inversé, une sorte de version sans filtre. On voit s’afficher sur les réseaux les ventres gonflés ou ramollis, les culottes filets portées après la délivrance, les cicatrices de césarienne, les bébés encore gluants de vernix pousser leur premier cri ou vissés au sein de leur mère, les larmes du baby blues. On y lit les récits d’accouchements interminables ou express, médicalisés à la maternité de secteur ou physiologiques dans une baignoire gonflable au milieu du salon, mais aussi les fausses couches et les deuils périnataux.
Epaisse armure d’idéalisation
En février 2020, la sociologue Illana Weizman a lancé, avec trois autres militantes féministes, le hashtag #monpostpartum, qui a mis des mots sur la réalité de cette période suivant l’accouchement. Une libération de la parole sur la maternité, domaine intime par excellence, parfois enfermé dans une épaisse armure d’idéalisation. « Les femmes souffraient en silence, relève Clémentine Galey, créatrice du podcast « Bliss Stories ». Et, quand elles se plaignaient, on avait tendance à leur répondre : “Ne te plains pas, tout le monde est en bonne santé”. »
Il vous reste 78.36% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.