Tribune. Le premier scandale fut celui du tabac. Puis vinrent les pesticides, l’amiante, le réchauffement climatique, etc. Tous ces désastres auraient pu être anticipés. L’ensemble des preuves scientifiques requises étaient là, parfois depuis trente ans, écrasantes, convergentes et consensuelles ; mais incapables de passer la barrière médiatique.
Il faut dire que les industriels firent de gros efforts pour nier l’évidence et cultiver le scepticisme. Portés par d’immenses ressources financières, ils s’offrirent tous les experts, universitaires, lobbyistes et journalistes nécessaires à la cause. C’est ainsi que l’incertitude noya le vrai et que le bien commun s’abîma dans les fanges du profit.
Aujourd’hui, c’est au tour de l’industrie numérique d’exploiter le filon. Côté scientifique, la messe est dite : des milliers d’études démontrent l’impact causalement délétère des écrans récréatifs sur le développement cognitif, somatique et émotionnel de l’enfant (pour une synthèse, La Fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget, Points, 2020). Pourtant, du côté des médias, le débat reste vif.
Les « experts » se succèdent et s’opposent. Les articles contradictoires se multiplient sans jamais se répondre. Au final, cette cacophonie remplit pleinement son rôle : maintenir l’équivoque et retarder autant que faire se peut toute prise de conscience collective.
Propos de comptoir
Bien sûr, le doute est une étoffe complexe, tissée de nombreux facteurs convergents. Parmi les plus efficaces, on trouve notamment une inépuisable matrice d’éléments de langage prédigérés. Ceux-ci permettent de saturer l’espace public d’arguments bateaux, universellement applicables et qui s’élèvent tellement loin au-dessus des données que ces dernières en deviennent invisibles.
C’est ainsi que tout propos contrariant devient sans délai « alarmiste », « caricatural » ou « anxiogène ». De même, toute mise en garde trop précise est prestement accusée de « diaboliser les écrans » ou de « culpabiliser les parents ». Certains évoquent carrément une « panique morale », issue d’esprits conservateurs que le progrès effraie. Rien de nouveau nous assure-t-on, toutefois. Il y a cinquante ans les détracteurs de la modernité tapaient déjà sur le rock et la bande dessinée.
Mais, concrètement, quid des études et des faits ? Quel est l’apport informatif de ces clichés fourre-tout ? Faut-il taire l’influence néfaste des écrans récréatifs sur le développement au motif que le message est déplaisant ? Et que dire du rock et de la bande dessinée. Certains les ont incriminés, c’est vrai, mais sans produire aucune preuve corroborante.
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