
Les tableaux barrés de lignes rouges, orange et beiges recouvrent la table. Dans leur bureau du pôle abdomen et métabolisme, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, les trois cadres de santé analysent d’un œil expert les lignes de présence et d’absence de leurs équipes respectives pour l’été, qui débutent à peine mais monopolisent leurs forces depuis quelques mois déjà. « Dès avril, on a vu qu’on ne comblerait pas tous les besoins », raconte Laurence Le Montreer, 57 ans, la cadre supérieure qui gère les 460 soignants du pôle – « l’équivalent d’une PME ».
Prises en étau entre les congés annuels des infirmières et aides-soignantes et le manque de candidats pour les remplacer, elles ont dû faire une proposition difficile à la direction : fermer une unité de soins, c’est-à-dire seize lits, pendant plus d’un mois, du 22 juillet au 4 septembre. Une première au CHU, pourtant habitué à réduire la voilure pendant l’été. « Cela nous affecte forcément, on s’inquiète du devenir de certains patients », avance Guillaume Bouguen, chef du service des maladies de l’appareil digestif.

Les soignants de son service vont devoir déménager un étage plus bas, au service maladies du foie. Un service pour deux spécialités, l’« hépato » et la « gastro », avec des patients et des compétences différents. De quoi attiser les inquiétudes des professionnels de santé.
« Vrai casse-tête »
« On se demande toujours si on a pris la bonne décision », souffle Laurence Le Montreer, se tournant vers ses collègues : « Je me demandais d’ailleurs si on ne pouvait pas réduire la durée de fermeture ? » Au-dessus de leurs masques, les regards de Florence Buneaux et Charlène Masson ne cillent pas : « Non, ça ne va pas être possible. » Les plannings sont formels, le personnel soignant ne sera pas assez nombreux. Cette année, en particulier, les aides-soignantes se font rares.
A 56 ans, Florence Buneaux, cheveux gris coupés court, a l’habitude des plannings à faire et à défaire. Pour celui de cet été, elle a travaillé des heures, un crayon dans une main et une gomme dans l’autre, « à l’ancienne », sourit-elle. A portée de main, son téléphone noir sonne à intervalles réguliers. Des patients à admettre dans les deux unités qu’elle gère, trente-cinq personnes à manager et des postes vacants à remplacer au pied levé.
A ses côtés, Charlène Masson, 34 ans, « faisant fonction de cadre », va bientôt passer le concours qui lui permettra d’accéder à ce poste à responsabilité. Si elle apprécie d’évoluer dans sa carrière d’infirmière, elle ne s’attendait pas « à devoir gérer autant d’administratif et de RH [ressources humaines] ». « C’est vrai que le métier a évolué », acquiesce Florence Buneaux, qui regrette : « Cette gestion des ressources humaines est très chronophage et les arrêts un vrai casse-tête. Tout cela, ça fait moins de temps auprès des équipes et des patients. » Son téléphone sonne une fois de plus : « un arrêt de travail ». Les négociations commencent alors au bout du fil avec les membres de son équipe. Si certains acceptent de bousculer leur planning, d’autres ne répondent plus à l’appel de leurs cadres, las de jouer les sauveurs.
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