
Ce jour frais de la mi-mars est celui de l’inauguration du « chemin de sa Personne » à l’Institut Bergonié à Bordeaux, spécialisé en oncologie : un nouvel espace reliant le bâtiment flambant neuf consacré à la chirurgie à celui plus ancien dévolu aux hospitalisations. Il comprend le réaménagement d’un porche au centre duquel a été pensée une salle consacrée aux usagers de l’hôpital ainsi que la création d’un espace public nommé « place de l’Arc-en-ciel », où l’on peut s’asseoir sur des bancs en bois adossés à une étrange structure évoquant un toit où se reflète le ciel.
Grand et mince, vêtu d’un jean, d’un blouson à doublure écossaise et chaussé de Doc Martens, l’artiste Arnaud Théval, à l’origine du projet, se tient, les bras croisés dans le dos, derrière François-Xavier Mahon, le directeur général de l’Institut Bergonié, qui prononce son discours inaugural, en costume sombre. Il adresse aux personnes attroupées un sourire complice qui semble flotter sur son visage. Une manière d’incarner ce subtil alliage entre connivence et distance critique qui fonde sa démarche artistique.
« Quand j’ai débarqué, en 2017, l’Institut Bergonié était en travaux pour la construction de ce nouveau bâtiment de chirurgie, tandis qu’au fond était relégué le vieux bâtiment pour les hospitalisations, explique-t-il à notre arrivée, en désignant un immeuble gris et austère situé à l’arrière de l’hôpital. Dans ce bâtiment, seuls le sud, l’est et l’ouest étaient indiqués, mais pas le nord, comme si l’hôpital manquait de boussole. Nous avons travaillé sur la possibilité de s’y orienter, par une réflexion sur le sens. »
Travail autour du langage
Dans le livre Hôpital cherche nord (Dilecta, 2021), Arnaud Théval a rassemblé des textes incisifs et poétiques plongeant le lecteur dans le monde hospitalier, comme une alternative à l’idéal de neutralité par lequel le corps médical tente de conjurer les effets de la maladie et de la mort. Durant cinq ans de résidence, il a combiné enquête, diplomatie, conférences, installations et écriture pour explorer les impensés de l’hôpital, à l’instar des actions qu’il avait déjà menées dans d’autres institutions publiques, telles l’école ou la prison.
« Il nous a fait travailler autour du langage, et j’ai trouvé cela extraordinaire », s’enthousiasme l’oncologue Fabienne Jouannet, chargée d’une unité de soins palliatifs. « Il nous met sous les yeux ce qu’on ne voit pas. Une grande partie des mots que nous utilisons en cancérologie sont empruntés au lexique guerrier. On est toujours en train de chercher la bienveillance, mais notre vocabulaire est très agressif. Nous reprochons aux patients de l’être alors que c’est nous qui le sommes », reconnaît-elle. « Il est venu regarder les gens comme un anthropologue. C’est un homme d’observation, de conversation, et il a créé un débat public qui a été nourri d’actions iconoclastes. Il a mis au travail l’hôpital sur la question de savoir ce que fait l’art à l’hôpital aujourd’hui, et il a mis en scène des gens, des animaux, des questions », abonde Laura Innocenti, responsable du pôle art et culture à l’Institut Bergonié.
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