RécitAlors que le nombre de mineurs isolés, souvent étrangers, ne cesse de croître dans la capitale, ce centre pédiatrique du 19e arrondissement développe une stratégie de suivi et d’aide pour tenter de les soustraire à l’emprise des réseaux de drogue et de prostitution.
Il y a d’abord eu le premier. A l’été 2016. Un tout petit. Overdose. Et un deuxième, un troisième… Puis ils se sont mis à affluer par dizaines aux urgences de l’hôpital parisien Robert-Debré, le plus grand centre pédiatrique d’Ile-de-France. Des étrangers de moins de 18 ans, venus seuls en France et désignés par l’administration sous l’acronyme MNA, « mineur non accompagné », ramassés dans les quartiers alentour par des pompiers, inconscients ou blessés. Luigi Titomanlio, le responsable des urgences, se souvient de leur état à leur arrivée : « poly-intoxiqués », « comateux » et parfois « très agressifs ».
Confrontés à cette situation, les urgentistes sollicitent l’aide de leurs collègues pédopsychiatres. Leur chef, le professeur Richard Delorme, décide alors de laisser carte blanche, en interne, à l’équipe spécialisée en addictologie pour les enfants et les adolescents. « Il a fallu imaginer une nouvelle façon de les prendre en charge », raconte la psychiatre Emmanuelle Peyret, chef de cette unité. Celle-ci découvre « des enfants rendus à l’état sauvage, qui se défoncent pour supporter l’insupportable » et n’ont plus confiance en personne.
Un éducateur, François-Henry Guillot, est mobilisé, ainsi qu’une interne en pédiatrie, Marie Parreillet. Avec la docteure Peyret, ils deviennent les principaux interlocuteurs de ces quelque 200 patients, âgés de 9 à 18 ans – parfois davantage. « Ils se déclarent mineurs, on les prend en charge comme des mineurs, rappelle Marie Parreillet. Notre mission, c’est de réparer ces enfants, pas de trancher sur leur âge. »
« Il suçait son pouce en regardant Gulli »
Ce travail de longue haleine, qui confine parfois à la mission impossible, les confronte aux réalités du monde des MNA. Mi-mars, l’un d’eux a perdu connaissance en pleine rue ; il avait avalé six comprimés de Lyrica, un puissant antidouleur. D’après ses papiers, il avait 15 ans. M. Guillot lui en donne quatre de moins. « Il était tout petit », décrit-il. Dans un accès de violence, il a dû être attaché. Il a refusé de parler aux soignants avant d’admettre, du bout des lèvres, habiter « chez un mec à La Chapelle ».
En décembre 2020, un autre jeune, confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) des Yvelines, avait lui aussi été transporté aux urgences de Robert-Debré. Son corps était couvert de plaies à vif, et d’autres, plus anciennes. Ce soir-là, François-Henry Guillot lui a rendu visite dans sa chambre. « Il suçait son pouce en regardant Gulli », se souvient l’éducateur. Puis il a fugué. Personne n’a retrouvé sa trace.
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