ReportageFrancis, un octogénaire niçois, vivait seul avec plus de cent félins, malades ou morts. Malgré les alertes de ses proches, il a fallu plus de deux ans pour qu’il soit hospitalisé en psychiatrie. Retour sur un dysfonctionnement.
C’est une petite villa isolée sur une colline, au milieu des chênes verts et des figuiers. Un bel endroit, a priori : de la terrasse, on peut voir la ville. Mais en approchant, la puanteur vous saisit, âcre, pénétrante ; une odeur d’urine, de détritus, de mort aussi. Elle émane des murs maculés d’excréments, des monticules de boîtes de conserve à moitié vides, des cadavres d’animaux entassés un peu partout. C’est ici, avenue de la Clua, sur les hauteurs de Nice, qu’ont été découverts, le 4 décembre 2021, une centaine de cadavres de chats en décomposition dans des boîtes, ainsi qu’une trentaine encore vivants mais très mal en point. « La maison de l’horreur », a conclu la presse locale.
Ce matin-là, Joëlle Marchal, 64 ans, s’en souvient bien, il faisait un froid glacial. Cette comptable encore en exercice reçoit un appel avant de partir au bureau : son oncle Francis, 81 ans, dont elle s’occupe depuis des années avec sa mère et ses filles, et qu’elle considère comme son père, est à l’hôpital à cause de son dos. Elle habite à une vingtaine de kilomètres de là, mais Francis, un ancien vendeur de voitures habitué depuis des lustres à vivre en célibataire, lui demande de passer chez lui « nourrir les chats ».
Une odeur suffocante
Sitôt la porte ouverte, une dizaine d’entre eux, affamés, s’échappent. A l’intérieur, il en reste une vingtaine, rachitiques et malades. Le corps d’un autre gît sur le canapé, dévoré par ses congénères. Dans les escaliers, la salle de bains, la buanderie, elle découvre des dizaines et des dizaines de boîtes en plastique scellées, pleines de cadavres en décomposition. L’odeur est suffocante.
Joëlle Marchal sait à quel point l’état psychologique de son oncle s’est détérioré. Lorsqu’elle tente de le ramener à la raison, il devient agressif, l’empêchant d’aller plus loin que la cuisine. Voilà des années qu’elle tente vainement de le faire aider par les services sociaux. Elle ne compte plus les appels restés sans réponse. Les preuves de son combat, elle les conserve dans un classeur violet qu’elle trimballe partout. Mais là, c’est pire que tout.
D’une voix blanche, elle prévient la police.
Tout le monde, dans le quartier, semble abasourdi. Une voisine parle d’un homme « poli, discret », le genre prêt à dépanner en venant tailler une haie ou balayer une terrasse jonchée de feuilles mortes. « Il sortait toujours très propre, la chemise amidonnée, rasé de près. Même pour aller faire les courses, raconte Annie La Barbera, 63 ans, qui habite juste en face. C’est vrai que depuis deux, trois ans, on avait remarqué avec mon mari des changements. C’était plus sale que d’habitude. Il avait l’air d’avoir besoin d’aide, mais il avait beaucoup trop honte pour l’admettre. » A l’entendre, Francis faisait tout pour maintenir les apparences. Alors, parfois, en son absence, elle débarrassait son jardin des sacs-poubelle et les jetait discrètement. « Mais on ne pouvait pas imaginer que chez lui, c’était comme ça… »
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